Eloge du voyage pédestre
Il y a plusieurs sortes de voyages.
Il y a les voyageurs qui partent à la découverte de nouveaux pays, paysages, populations, cultures jusqu’à alors plus ou moins inconnus.
Certains sont à classer parmi les voyageurs frénétiques, les collectionneurs qui additionnent les déplacements pour pouvoir dire « j’ai vu tant de pays, parcouru tant de kilomètres ». Le tour du monde en quelques semaines, marathon qui relève de l’exploit sportif.
Il y a aussi les voyages redécouverte, introspection, retour sur soi, sur ses souvenirs. Ils exigent une certaine lenteur.
Les pèlerinages en font partie.
Les chemins de Saint Jacques de Compostelle, qu’ils soient réelle quête spirituelle ou non, en sont l’exemple le plus célèbre.
Il en est d’autres plus personnels, plus originaux.
Suivant les conseils énoncés dans mon billet d’humeur écrit au début du confinement, j’ai parcouru ma bibliothèque.
J’y ai retrouvé un livre de poche acheté au hasard d’un passage en librairie. « Remonter la Marne » de Jean-Paul KAUFFMANN, (Fayard 2013)
Cet ancien journaliste a appris pendant ses trois ans de captivité dans les geôles du HEZBOLLAH la valeur de la vie intérieure.
Son livre raconte la réalisation d’un projet pour le moins surprenant : remonter de la mégalopole parisienne le cours de la Marne jusqu’à sa source sur le plateau de Langres. Traverser une France qui n’attire pas le touriste et se bat pour ne pas mourir. La France périphérique des journalistes d’aujourd’hui.
Jean-Paul KAUFFMANN n’est pas parti le guide vert ou le Routard en poche. Il a pris pour compagnon de route « Chemin faisant » de Jacques LACARRIERE. Il n’y a pas trouvé d’indication de lieux, de directions pouvant l’aider dans son cheminement. Pour cela il avait les cartes de l’IGPN !
Ce livre était pour lui un guide « spirituel » le ramenant à l’esprit de son aventure. Ce « journal d’un errant heureux » constitue en effet une invitation au vrai voyage, celui où on sait s’arrêter, écouter, observer.
Choisir de remonter la Marne jusqu’à sa source est une remontée dans le temps, C’est vouloir retrouver des paysages que la modernité n’a pas chamboulés, des hommes et des femmes qui vivent leur vie loin de la frénésie des grands centres urbains.
La Marne s‘appelait à l’époque gallo-romaine « MATRONA » la mère nourricière. Pendant longtemps elle a été, comme beaucoup de rivières, une voie de communication source de richesses. Plus tragiquement, elle est associée à une des grandes batailles de la première guerre et à d’autres faits d’armes aujourd’hui oubliés.
Il y découvre des paysages agressés par une modernité laide. Il passe sous le pont de la Francilienne « monstre rugissant qui s’élève au-dessus d’un paysage de voies ferrées, de quais de déchargement, d’amoncellement de sable de détritus… ».
Endroit où la rivière, aux confins de la région parisienne, est « assiégée » et mène « un combat d’arrière-garde »
Mais aussi des lieux pleins de charme, la rivière en remontant son cours gagnant finalement son combat contre la modernité ou peut-être ne l’ayant pas encore perdu.
Partout l’histoire, la grande mais aussi la petite, affleure. Il la ressent et en recherche les traces jusqu’à celles de son enfance à Vitry-le-François
Au-delà de Chaumont il erre longtemps dans ce « grand pays désert, un royaume inviolé » du plateau de Langres pour découvrir la source ou plus exactement les sources de la Marne en essayant de ne pas perdre la trace de ce petit ruisseau qui en nait et qui deviendra cette opulente rivière qui aurait pu devenir un fleuve si la Seine ne lui avait pas ravi la prééminence.
Les contrées traversées, malgré la faible densité de leurs populations, ne sont pas des déserts humains.
Le marcheur y rencontre de gens originaux mais aussi plus « normaux », des ambitieux, des passionnés comme des passéistes qui se sont retirés du monde qui les entoure.
Il s’arrête chez une artiste qui vit sur une ile au milieu de la rivière, retrouve un ami qui l’accompagne un temps, un jeune asiatique étudiant les méandres de la rivière, parcourt la rivière avec un Maître des Eaux, « un homme taiseux, présence singulière, une tranquillité dense, inamovible » …
Bien d’autres personnages pourraient être évoqués.
Toute cette accumulation de sensations, d’échanges, de réflexions n’a été possible que grâce à la lenteur du déplacement pédestre qui permet de voir, d’entendre de réfléchir.
Le paysage ne défile pas, au contraire il enveloppe le marcheur, lui impose son rythme fait du cours des eaux, de celui des nuages dans le ciel et du vent dans les arbres.
Que de moments de grâce qui font oublier la fatigue, le froid, l’humidité, les ampoules aux pieds…
Certes Jean-Paul KAUFFMANN n’a pas fait preuve d’originalité en relatant sa randonnée. Beaucoup d’auteurs, comme LACARRIERE l’ont précédé dans ce genre littéraire et le suivront.
Le généticien Axel KAHN, pour ne citer que lui, (« Pensées en chemin : ma France, des Ardennes au Pays Basque » Stock 2018) a aussi chaussé ses chaussures de marche pour traverser la France en diagonale à la rencontre des français oubliés qui vivent loin des métropoles parfois dans des régions frappées par la désindustrialisation.
Cependant son objectif était plus sociologique et son périple comme ses rencontres plus organisés alors que Jean-Paul KAUFFMANN, lui, ne cherchait pas ces dernières préférant les cueillir au hasard du chemin.
Je suis sûr que vous pourriez citer de nombreuses autres lectures retraçant de tels périples (je pense notamment à nos lauréats 2019 Pierre ADRIEN et Philibert HUM « Le tour de France de deux enfants d’aujourd’hui » (en voiture toutefois !).
Mais j’espère vous avoir donné l’envie de lire ou de relire : « Remonter la Marne ».
Denis ATZENHOFFER